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← articles plus anciens 14 mars 2014 walter benjamin, un penseur en france le 26 septembre 1940 à port-bou sur la frontière espagnole, le philosophe et critique allemand walter benjamin, né à berlin, en 1892 et réfugié en france depuis la prise du pouvoir par les nazis en 1933, est découvert mort après avoir ingurgité une dose énorme de morphine. cette fin tragique sur fond d’apocalypse européen et de shoah à venir pèse jusqu’à aujourd’hui sur la réception d’une œuvre restée en grande partie inédite du vivant d’un auteur inclassable. à partir de ce destin s’est développé un mythe autour d’un des plus « français » parmi les penseurs allemands. élève de l’historien et germaniste jean-michel palmier (1944-1998), florent perrier a édité la monumentale biographie que j.-m. palmier préparait avant sa mort ( walter benjamin. le chiffonnier, l’ange et le petit bossu , klincksieck, 2006). a quand, à votre avis, remonte la (re)découverte de benjamin en france ? y a-t-il désormais une école benjaminienne spécifiquement française ? a l’évidence, deux figures ont d’abord beaucoup compté, l’une encore plutôt méconnue mais très active dans l’ombre comme auprès d’adorno et scholem, celle de pierre missac, ami personnel de walter benjamin, qui traduisit les thèses »sur le concept d’histoire » en 1947 pour les temps modernes puis, juste une poignée d’années plus tard, celle de maurice de gandillac qui proposa au public français, dès 1959 (seulement 4 ans après la première édition allemande des schriften [écrits] ), le premier recueil d’ œuvres choisies chez julliard, dans une collection déjà dirigée à l’époque par maurice nadeau. il est intéressant de noter que, dans ce recueil, l’éminent traducteur (dont les leçons seront revues ensuite par rainer rochlitz et pierre rusch pour gallimard en 2000), souligne la place de pierre klossowski comme d’adrienne monnier pour la connaissance et la circulation, avant guerre, de l’œuvre de w. benjamin. cela pour la découverte. mais il est effectivement une (re)découverte qui, indubitablement, est à situer au début des années 80 lorsque les toutes récentes traductions importantes publiées par jean lacoste (le baudelaire en 1979 chez payot ou sens unique précédé de enfance berlinoise un an plus tôt chez maurice nadeau) seront suivies, en 1981, par un numéro spécial de la revue d’esthétique dirigé par marc b. de launay et marc jimenez puis, en 1983, par le colloque international fondateur des 27 au 29 juin consacré, sous la direction de heinz wismann, à walter benjamin et paris . cela ne forme toutefois, à mon avis, en rien une école et moins encore une école française. il est certes de grands interprètes de la pensée de w. benjamin (issus de disciplines ou d’horizons divers) auxquels chacun peut choisir de se référer plus particulièrement (outre les noms déjà évoqués, on peut notamment citer stéphane moses, françoise proust, jean-michel palmier, catherine perret, gérard raulet, antonia birnbaum, jean-christophe bailly, michael löwy, georges didi-huberman, miguel abensour, danielle cohen-levinas, irving wohlfarth, philippe ivernel, etc.), mais il n’existe pas de mouvement structuré qui imprimerait sa marque ou sa lecture au détriment d’autres interprétations. quel est selon vous le « moment » actuel que nous vivons dans la réception de walter benjamin (notamment marquée par la parution du cahier de l’herne) : pensez-vous qu’il y ait un retour de la lecture politique au détriment de l’interprétation messianique ou littéraire de son œuvre ? a mon sens, alors qu’auparavant des lectures opposées pouvaient s’affronter dans l’élucidation des positions benjaminiennes (la vision marxiste face à la vision religieuse notamment), chacun est désormais conscient, après des années d’études rigoureuses, qu’on ne peut bâtir une image de la pensée benjaminienne en faisant abstraction d’une des multiples dimensions qui la composent et la recomposent. sa lecture politique n’est pas exclusive de son interprétation messianique, sa vision littéraire n’est pas détachable de sa perception sociale, il y a une porosité comme une solidarité subtiles entre ces dimensions, une circulation souterraine. il ne s’agit en rien d’un patchwork ou d’un agglomérat quelconque, mais bien d’un agencement, d’une disposition d’éléments disparates singuliers dont les jeux de renvois, d’échos ne cessent de faire sens (on rappellera l’erreur d’adorno qui datait le fragment théologico-politique de 1937 quand scholem montra qu’il appartenait en réalité aux années 1920-21). c’est pour cela, me semble-t-il, que l’on arrive aujourd’hui à un »moment » où l’occultation ou la mise de côté trop flagrante de l’une ou l’autre de ces dimensions devient vite plus criante, un véritable manque. ainsi, et parce que cela me préoccupe tout particulièrement, négliger par exemple la place concrète occupée par des centaines d’images (estampes, photographies) dans un ouvrage comme paris, capitale du xix e siècle a les mêmes conséquences, dommageables, qu’occulter la dimension messianique dans les thèses »sur le concept d’histoire ». on ne peut sans doute plus travailler sur l’œuvre de walter benjamin sans prendre en compte aujourd’hui ne serait-ce que l’existence de cet immense réseau de domaines, de références, d’influences qui ne cesse de la traverser, de l’animer non pas, encore une fois, à tort et à travers, mais selon des angles, des positions, des inclinaisons ou des inclinations choisis par l’auteur. c’est en cela que le cahier de l’herne consacré à walter benjamin est important même si, par son sommaire, il peut donner, au premier abord, une forme de tournis : chaque reflet lancé par une facette du cristal walter benjamin peut venir éclairer un pan de notre présent ; à nous d’y être attentifs, à nous de ne pas considérer ces éclats comme en provenance d’astres morts, mais bien comme les matériaux toujours en devenir qu’ils furent d’ailleurs, de son vivant, pour w. benjamin lui-même, dans son travail quotidien de chercheur. c’est aussi pourquoi le »moment » actuel privilégie à mon sens plus facilement l’interprétation de ces différents éclats et non la reconstitution de grands récits qui, s’agissant de w. benjamin, ne peuvent guère « tenir » ; en cela, il faut le prendre en bonne part sans doute, le mode d’interprétation qu’il nous suggère de son œuvre est éminemment proche du contemporain : dispersé, éclaté, mouvant, mais dans le même temps et pour qui veut bien s’en saisir avec toute la rigueur nécessaire, précisément défini, ciselé pour ainsi dire. le versant négatif de cette approche est la multiplication d’anthologies thématiques de textes de w. benjamin qui sont malheureusement coupés, abrégés, voire triturés, des extraits qui rendent d’autant plus nécessaire aujourd’hui la publication d’une édition critique de ses œuvres et inédits qui puisse faire référence. pensez-vous que le corpus benjaminien en français est suffisamment constitué ? y a-t-il selon vous des oeuvres indispensables qu’il faudrait encore traduire en priorité (sa thèse de doctorat sur kant par exemple) ? ne sachant pas l’allemand, il m’est difficile de répondre ici avec toute la précision voulue. mais je termine justement en ce moment une bibliographie exhaustive des traductions françaises de walter benjamin qui permet de constater que si l’essentiel est aujourd’hui traduit et disponible (disons les textes canoniques, les ouvrages publiés de son vivant, les grands ensembles posthumes), restent non seulement à traduire tout un tissu très dense de critiques et recensions qui alimentent en permanence sa réflexion, mais aussi des pans entiers de fragments, de versions successives, de manuscrits ou de notes qui restent pour le moment inaccessibles au lecteur français. or, la méthode de travail de w. benjamin rend leur contenu fondamental et c’est sans doute pourquoi une exposition comme walter benjamin. archives au musée d’art et d’histoire du judaïsme a pu tant marquer en 2011 : elle touchait précisément, à travers l’expos